Ronald Laing

Né à Glasgow, Ronald D. Laing, pionnier de l'« antipsychiatrie », obtient son doctorat en médecine à l'université de cette ville en 1951 et sert comme psychiatre dans l'armée britannique de 1951 à 1953. Très rapidement, il rompt avec l'approche psychiatrique classique pour se situer dans le courant de la psychologie existentielle inspirée de Martin Heidegger, Ludwig Binswanger et Jean-Paul Sartre. Il s'intéresse aussi aux thèses de l'Américain Harry Stack Sullivan sur les relations interindividuelles. À ses yeux, la psychose est non une maladie, mais un phénomène social ; et le thérapeute doit essayer de s'ouvrir à l'expérience du patient plutôt que de plaquer sur celui-ci une grille de référence, qu'il s'agisse de la psychiatrie ou de la psychanalyse. R. D. Laing entend par expérience la connaissance intime que chacun a de soi-même, la façon dont il ressent une situation ou une relation. « Les schizophrènes, déclare-t-il, ont plus de choses à apprendre aux psychiatres sur le monde intérieur que les psychiatres à leurs malades. » Les psychiatres, en effet, connaissent encore mal la folie et, jusqu'ici, personne n'a trouvé une méthode fiable pour traiter des malades mentaux. Cette opinion suscite de très vives controverses au sein du monde médical, en même temps qu'elle assure à son auteur la sympathie des milieux progressistes.



Mais, vers la fin de sa vie, Laing remettra en cause de telles théories. Ainsi, dans son autobiographie , où il évoque sa rupture avec la psychiatrie classique, il renie la majeure partie de ses travaux et reconnaît l'échec de la plupart de ses méthodes de traitement des schizophrènes. Il ne nie pas avoir idéalisé la détresse des malades mentaux et avoue avoir compris avec le temps les difficultés que la société peut éprouver à les tolérer et à les prendre en charge.

De même, un échec partiel est rapporté dans un travail de Théodore ITTEN .
«R.D. Laing mettait un certain nombre de patientes soufrant de schizophrénie chronique et deux infirmières dans une pièce agréable. Les patientes y passaient toute la journée et on leur donnait de quoi s’occuper. Elles étaient choisies parmi les patientes séjournant dans un service pour malades chroniques (« réfractaires ») bondé, où il y avait rarement plus de cinq ou six soignants. Dr. Laing voulait observer l’effet – s’il y en avait un – du nouvel environnement et des contacts plus intenses entre infirmières et patientes. Au début, le personnel soignant lui fournissait des informations sur les activités du groupe lors d’une réunion hebdomadaire. Ces discussions furent rapidement intégrées dans les réunions auxquelles participaient les infirmières s’occupant des groupes d’analyse. D’autre part, il passait environ une heure par jour dans la pièce, participant au travail et observant directement ce qui se passait »
Le premier jour de l’expérience, il fallut escorter les douze patientes les plus « incurables » et les plus « renfermées sur elles-mêmes » du service à la nouvelle salle de jour. Laing écrit que « Le deuxième jour, j’ai eu dans le service l’une des expériences les plus émouvantes de ma vie. Toutes les patientes concernées étaient agglutinées près de la porte fermée à clé, attendant simplement de sortir et d’aller dans l’autre salle avec les infirmières et moi. Puis elles sautillèrent et gambadèrent et dansèrent et ainsi de suite tout le long du chemin. Des patientes tellement « renfermées ». 
En fait, Laing, alors âgé de 26, observa ensuite une disparition progressive des comportements que l’on diagnostiquait comme « schizophrènes » ; au bout d’un an, toutes les patientes avaient été autorisées à quitter l’hôpital. Elles y revinrent toutefois toutes : était-ce un phénomène « d’hospitalisme », était-ce parce qu’elles n’avaient plus de contacts à l’extérieur leur permettant d’y vivre ? Gartnavel n’était-il pas devenu leur foyer ? 

C’est bien sûr la multiplication de ces désillusions qui amena plus tard Laing à, fort honnêtement, critiquer les résultats de son propre travail. Notons pour le nôtre que si ces patientes et patients avaient appris à s’exprimer, ils n’avaient rien avancé, ou trop peu sur la question du dialogue concret, de l’articulation avec les autres, qui n’était pas l’objet d’étude de cette tentative. 

Mais revenons à la pratique de Laing 

L’expérience du Kingsley Hall

Au Kingsley Hall, les patients vivaient avec les psychiatres. Les normes étaient fixées par les habitants du bâtiment mais on n’en exigeait pas un respect rigoureux. On invitait plutôt chaque personne à vivre sa folie comme elle en avait envie. Ceux qui se sentaient bien aidaient ceux qui se sentaient mal. C’était une communauté solidaire.

Au cours de ces cinq années d’expériences, des progrès notables ont été relevés. Le cas de Mary Barnes est devenu particulièrement célèbre. Cette femme souffrait de schizophrénie et avait été internée dans plusieurs hôpitaux psychiatriques, mais sans succès. Au Kingsley Hall, on l’a encouragée à peindre les murs avec ses propres déjections. C’est en effet ce qu’elle avait envie de faire. Avec le temps, elle est devenue une peintre de renom. Et également une grande écrivaine. Elle a été l’auteure d’un célèbre livre intitulé Voyage à travers la folie

Plus de cent patients ont vécu entre les murs du Kingsley Hall. L’un des aspects polémiques de l’expérience était l’utilisation de LSD, une drogue psychédélique, pour (apparemment) faciliter certaines expériences mentales. Il est vrai que tout cela a fini par attirer des personnes avec des problèmes d’addiction et des vagabonds. Les voisins du Kingsley Hall ont commencé à manifester leur profond rejet pour tout ce qui s’y passait.

Des conclusions qui ne sont jamais arrivées
On encourageait les patients du Kingsley Hall à devenir aussi fous qu’ils le pouvaient, c’est-à-dire à vivre leur “voyage” sans la moindre restriction. Les personnes étaient libres d’entrer et de sortir comme elles le voulaient. Ceci était bien sûr complètement “fou”. Le mot “ordre” était contraire à une communauté et une expérience de ce genre.

Quoi qu’il en soit, plusieurs patients ont été guéris. Il n’y a pas eu de registre méthodique en tant que tel mais plusieurs patients s’y trouvaient et ont aujourd’hui donné leur témoignage en étant parfaitement lucides. D’autres, en revanche, ont sauté du toit du bâtiment. Et on n’a plus eu de nouvelles de certains après leur séjour au Kingsley Hall.
 
En 1969, le Kingsley Hall a été déclaré “lieu inhabitable”. L’expérience très intéressante qui a dérangé de nombreux voisins et professionnels de la psychiatrie y a été menée jusqu’à cette date. Et nous pouvons comprendre leur rejet. Les espaces fétides, avec des patients qui hurlaient toute la nuit ou qui pleuraient en réclamant un biberon, ne sont pas simples à assimiler. Il est malgré tout dommage que les conclusions de cette expériences n’aient jamais pris forme.

On peut entendre dans les propos suivants de Jean Oury  une filiation tout à fait nette avec le travail de Laing, bien que les attaches lacaniennes de cet auteur modifient beaucoup l’approche par ailleurs, plus « clinique » donc que celle de ce dernier. Cela explique sans doute la meilleure tolérance sociale à l’expérience de LaBorde.
On pourrait donc définir la psychothérapie institutionnelle, là où elle se développe, comme un ensemble de méthodes destinées à résister à tout ce qui est concentrationnaire. "Concentrationnaire", c'est peut-être un mot déjà vieilli on parlerait actuellement bien plus de "ségrégation". Or, ces structures de ségrégation existent partout, de façon plus ou moins voilée. Tout entassement de gens, que ce soit des malades ou des enfants, dans n'importe quel lieu, développe, si on n’y prend pas garde, des structures oppressives. Simplement le fait d'être dans un collectif, avec une armature architecturale et conceptuelle vieux jeu. La psychothérapie institutionnelle, c'est peut-être la mise en place de moyens de toute espèce pour lutter, chaque jour, contre tout ce qui peut faire reverser l'ensemble du collectif vers une structure concentrationnaire ou ségrégative

Ainsi, à Laborde, la créativité des patients est le plus possible respectée, de ce point de vue dans une communauté d’esprit avec l’expérience anglaise, de même que les patients ont des fonctions institutionnelles soignantes.

On retrouve cependant la même erreur, de mon point de vue, que celle de Laing : le sujet victime de la Société, l’institution qui devient par nature même persécutrice. Alors, le moyen de traiter cela est du côté de la « lutte », laquelle n’est certes pas un dialogue ! Peut-on alors parler aussi d’échec pour Laborde ? Chacun sera là juge en fonction de ses informations, mais je n’ai pas connaissance d’un travail d’évaluation des résultats de cette institution…

Ainsi, dans Family life, de Ken Loach, tout à fait inspiré du travail de Laing et Cooper, on retrouve la même critique absolue, donc non discutable, du corps social : 
Ne sommes-nous pas capables de comprendre que le " voyage " n'est pas quelque chose dont il faille nous guérir, mais qu'il est lui-même un moyen naturel de guérison de notre état dit normal et qui n'est qu'un effrayant état d'aliénation ?

On trouve dans cette citation à la fois l’intuition forte de Laing et la limite qui se présentera constamment à lui. Pour la première, c’est le constat partagé par beaucoup de cliniciens du trait psychotique de l’utilité de la « régression » dans le processus psychotique, pour la seconde, c’est le constat d’une position, dans ce mouvement, radicalement critique de toute figure d’autorité, familiale, sociale, puis médicale et enfin psychiatrique. Au fond, le dialogue est en lui-même coupé par ces anti psychiatres, ce qui explique leur limite. « L'antipsychiatrie a choisi de défendre le fou contre la société » (Maud Mannoni)

Camille Veit, dans sa thèse  sur l’antipsychiatrie, résume bien ce dont il s’agit dans le travail de Laing :
Chevillée à son propre désir, c’est une véritable politique de l’expérience (1967) que déploie Laing au travers de ce qu’on nommera l’heuristique laingienne. Du grec eurisko, « je trouve », l’heuristique est l’ « art de trouver, de découvrir ». Le travail de Laing est une heuristique de la folie alimentée par son désir de trouver des voies d’accès à une forme de liberté et de conscience plus élevée. Il fait l’hypothèse que la folie, et plus particulièrement dans son déclenchement – soit le premier état dit de crise – aurait une fonction, celle de manifester l’embarras d’une existence établie sur un « moi divisé » (1960), c’est-à-dire, sur une scission désormais trop lourde entre ce qu’une personne présente d’elle-même au champ du social, et son « vrai moi ». L’heuristique laingienne s’appliquera aussi bien à sa pratique de psychiatre qu’à sa propre existence, ponctuée par les affres d’une quête du « sacré », ainsi qu’il le qualifiera en 1967. Laing fait le pari que la crise de l’homme doit être éprouvée plutôt que réprouvée. Dans un écho aux révoltes sociales de la contre-culture, le discours de Laing élève les manifestations folles du « soi-disant malade mental » comme les témoins d’une tentative de dégagement de l’aliénation sociale normale (1967), figurant ainsi la véritable santé mentale.

Le mi-chemin de l’antipsychiatrie de Laing.

On entend bien dans cette descriptions du travail de Laing qu’il avait fait la moitié du chemin, ce qui est déjà pas mal : favoriser l’expression authentique, logique et poétique, imaginaire et langagière du patient. 
Il avait simplement oublié l’autre moitié, l’articulation avec l’expression de l’authenticité de l’autre et du social pour que son travail sur la folie l’amène jusqu’au dialogue, seul véritable outil thérapeute dans l’hypothèse que nous poursuivons ici. Sa critique très manichéenne du discours normatif, familial et social, l’en empêchait… On a vu que certains contextes politiques de l’époque des années 60 n’était précisément pas au dialogue entre la glorieuse société capitaliste, les yippies et les classes prolétaires dépourvues d’espoir collectif.

Voici l’exemple par Laing lui-même du contenu d’une séance :